La question n’est pas nouvelle, et les expressions associées sont récurrentes dans les articles publiés sur ce sujet depuis presque 20 ans (le terme de "bad apple" notamment). Pour autant, le risque ne se résorbe pas, il a plutôt tendance à augmenter. Le manque de performance des médecins - au sens de leur capacité clinique et humaine logiquement attendue face à un patient - peut évidemment avoir des conséquences importantes sur la sécurité des patients. Cet article reprend, en le développant, le contenu d’un éditorial réagissant sur ce thème et paru dans le British Medical journal Quality and Safety (Martinez, 2025).
Les estimations suggèrent qu'environ 6 à 12 % des médecins connaissent des problèmes de performance, tandis qu'environ un professionnel de santé sur trois déclare avoir rencontré un collègue peu performant au cours de l'année écoulée (Humphrey 2010).
Les problèmes peuvent relever de causes individuelles, notamment :
Très souvent, les mauvais docteurs reflètent, d’une certaine façon, les mauvais systèmes. Souvent, la solution est plus dans le système que dans le blâme individuel du docteur (Shojana, 2013).
Mais il est vrai qu’un petit nombre de médecins concentre une grande partie du risque avéré. Une étude australienne montre que 3 % des médecins représentent 49 % des plaintes et 1 % représente 25 % des plaintes ! (Bismark, 2013).
Mais attention, cette vision est celle de la surface des choses, et beaucoup (nda : la très grande majorité) des EIG ne sont pas l’objet de plaintes, car moins facilement reliés à un docteur ou un fait précis ; l’image de l’incompétence est donc très déformée.
Finalement, espérer voir les sanctions croître, c’est clairement se masquer que la première bonne action à mettre en place est l’accompagnement, la prise de conscience par l’intéressé et la formation, autant d’actions regroupées sous le terme de "remédiation".
Il faudrait donc investir massivement sur des actions proactives qui détectent des signaux faibles et débutants d’incompétence, y compris pendant les études, et mettent en place des actions précoces d’aide, plutôt que croire juste à des sanctions rétroactives. Les signaux faibles sont nombreux et beaucoup sont connus, mais très mal exploités : plaintes orales des patients, des soignants, temps d’attente excessif, etc.
La remédiation consiste en des interventions éducatives ou de soutien visant à résoudre les problèmes sous-jacents et à améliorer les performances. Elle joue un rôle essentiel dans la résolution des problèmes de performance lorsque des inquiétudes sont soulevées et, idéalement, avant que des préjudices importants pour le patient ne se soient produits.
Cette remédiation peut prendre diverses formes en fonction, notamment, du problème sous-jacent :
La remédiation est-elle associée à la compréhension du praticien, au changement de comportement et à la réduction du risque de problèmes de performance récurrents ? La perspicacité implique la conscience de soi, la compréhension de ses propres actions et la reconnaissance de l'impact de ces actions sur les autres.
La littérature sur l'importance de l'introspection dans la remédiation des professionnels de la santé souligne son rôle crucial dans le changement de comportement et la prévention de futurs problèmes de performance.
Un certain nombre de stratégies de remédiation peut soutenir le développement de l'introspection, notamment en offrant des espaces sûrs pour des discussions confidentielles et un retour d'information normatif.
Il reste encore beaucoup à apprendre sur l'efficacité de ces stratégies de remédiation. La majorité des recherches sur le sujet proviennent d’Amérique du Nord et des données bien plus limitées sont disponibles pour d'autres professions de santé et d'autres régions.
Plusieurs études font état de résultats positifs à court terme pour la remédiation ciblant les troubles liés à l'utilisation de substances, avec des taux groupés d'abstinence et de retour au travail de l'ordre de 70 % , tandis que les études sur les résultats de la remédiation ciblant les connaissances et les compétences montrent des résultats plus variables.
Mais évidemment, il est clairement préférable d'identifier les professionnels à risque plus tôt, les aider à prendre conscience de leurs lacunes et à y remédier avant qu'une faute grave ne soit commise ou que les patients ne subissent des préjudices. De nouvelles recherches offrent des moyens prometteurs d'identifier les professionnels à risque.
Dans une étude récente (Kopp, 2020) portant sur 44 290 chirurgiens américains ayant demandé à être certifiés par un examen d'accréditation (vérifiant l'expertise d'un médecin dans une spécialité spécifique, exigé par de nombreux hôpitaux, assureurs ou employeurs américains), on constate que les chirurgiens qui n'avaient pas obtenu la certification sont trois fois plus susceptibles de faire l'objet de mesures disciplinaires sévères que les chirurgiens qui l’avaient obtenue.
Les recherches menées par Papadakis et al (2005) avaient déjà démontré un lien entre les antécédents de mauvaise conduite/manque de compétence dans les études et les mesures disciplinaires prises ultérieurement par les conseils de l'Ordre des médecins.
De même, une étude portant sur 725 infirmières américaines signalées aux autorités de réglementation pour des problèmes de performance a révélé que 60 % d'entre elles avaient des antécédents professionnels négatifs (licenciements ou mesures disciplinaires de la part d'employeurs antérieurs).
Une étude portant sur 6 898 médecins hospitaliers américains récemment formés a révélé que les meilleurs scores à la certification professionnelle sont associés à une réduction de 8 % des taux de mortalité à 7 jours et à une réduction de 9,3 % des taux de réadmission à 7 jours par rapport aux scores dans le quartile inférieur.
Dans une étude sur les plaintes des patients et les étapes de l'apprentissage, Han et al (2023) constatent que parmi les 9 340 médecins américains nouvellement formés, ceux qui avaient les notes les plus basses en matière de professionnalisme et de compétences interpersonnelles/communication étaient plus susceptibles de recevoir un nombre disproportionné de plaintes de patients, une fois qu'ils exerçaient de manière indépendante.
Prises dans leur ensemble, ces études et d'autres offrent la possibilité de développer des processus d'identification précoce des professionnels de la santé à risque et d'intervention rapide pour améliorer les performances.
La réforme de la réglementation professionnelle peut faciliter l'adoption de structures de gouvernance clinique efficaces pour remédier systématiquement à la sous-performance. Mais elle doit aussi faire l'objet d'un examen attentif pour éviter d'exacerber les charges administratives et la charge de travail des professionnels de la santé.
Par exemple, l'introduction de la revalidation médicale au Royaume-Uni en 2012, qui exige des médecins britanniques qu'ils démontrent périodiquement leur aptitude à exercer, a été critiquée pour ses exigences onéreuses, qui ont entraîné une augmentation de la charge de travail des médecins et, dans certains cas, les ont incités à abandonner leur pratique.
En conclusion, il est essentiel de s'attaquer aux problèmes de performance des professionnels de la santé pour garantir la sécurité des patients et maintenir des normes de soins élevées. Les efforts de remédiation sont considérés comme une étape essentielle pour aider les praticiens à mieux comprendre et à améliorer leurs performances, mais leur efficacité doit faire l'objet d'un examen plus approfondi. En exploitant des données provenant de sources multiples et en favorisant une culture d'amélioration continue, les organismes de soins de santé peuvent mieux soutenir leurs professionnels et protéger leurs patients.
On retiendra que oui, la recertification peut aider, de même que les sanctions des Ordres de médecins, mais il ne faut pas se cacher la complexité (et le coût) de ces systèmes de recertification et de sanction, puisqu’aucun ne marche bien dans le monde ; n’oublions pas qu’il faut dans ces cas de recertification autant certifier les médecins, que le système de certification lui-même… et c’est souvent le point faible.
Pour aller plus loin